Dans les coulisses - "Big Sur"

Entretien avec l'auteur la novella, Laurent Queyssi

L’éditeur : Quelle est la genèse de ce texte ? Quel en a été le point de départ ? Quelle a été la première idée à te venir ?

Laurent Queyssi : La genèse de Big Sur est un peu particulière. Je pense que l’idée a dû germer à la lecture de Paperbacks From Hell, un recueil de couvertures agrémenté d’essais sur les romans d’horreur de poche américains (ou anglo-saxons disons) des années 1970-80. Toutes ces couvertures bigarrées et sanglantes ont éveillé quelque chose en moi, une envie de parler de ces derniers avatars des auteurs populaires, successeurs des pulpsters, qui pondaient des romans à la chaîne pour des avances misérables.

A partir de là, j’ai commencé à développer le projet… en bande dessinée. À l’idée première, s’est ajoutée celle de parler des États-Unis et notamment de la culture populaire de ce vaste pays (sa véritable culture classique, si l’on considère que ses genres les plus « nobles » – western, jazz – proviennent d’arts de divertissement massif). J’en ai parlé à mon ami Mauro Marchesi qui avait déjà illustré la bande dessinée Phil, sur la vie de Philip K. Dick. Il a adoré l’idée et nous sommes partis là-dessus. Mais une fois le dossier monté – et l’intérêt affiché par plusieurs éditeurs – nous n’avons pas signé de contrat. Le projet paraissait trop étrange, pas assez vendeur sans doute. Trop littéraire peut-être.

Après quelques mois, j’ai demandé à Mauro s’il voyait un inconvénient à ce que je reprenne l’histoire en prose. Il m’a donné son feu vert et j’ai écrit la version novella de Big Sur. Je ne voulais pas que cette histoire tombe dans les limbes.

L’éditeur : Quelles ont été tes principales sources d’inspiration ? Dans quel état d’esprit as-tu imaginé cette histoire ? Dans quel contexte ?

Laurent Queyssi : L’inspiration principale vient des récits d’horreur bon marché qui inondaient les étals des stations-service et des supermarchés aux États-Unis dans les années 80. Pas les Stephen King ou Clive Barker (même si je pensais à eux aussi), mais les écrivains moins connus, qui écrivaient sous pseudo des récits sur des animaux tueurs ou des poupées assassines. J’ai aussi puisé dans le cinéma d’horreur de l’époque (pour la scène dans la maison de campagne notamment). Je lisais beaucoup de récits d’horreur anciens et modernes à l’époque (c’est toujours le cas d’ailleurs) et je baignais donc dans cet univers. Je voulais travailler les clichés de ces ouvrages, imaginer ce que cela donnerait s’ils prenaient vie.

L’éditeur : En quoi a consisté ton travail de recherche ou de documentation ? Sur quel(s) sujet(s) / thème(s) as-tu travaillé en particulier ?

Laurent Queyssi : Pour l’horreur, j’étais au point. Pour le côté culture populaire aussi. Je connaissais New York et la partie de la Californie que je décris. Il a donc fallu que je me renseigne sur le reste du continent, que je simule le trajet de mon protagoniste, que je lui trouve une voiture, une adresse, etc. J’ai essayé d’être assez précis et tous les lieux que je cite existent ou ont existé (même le carrefour du diable). C’est vraiment le road trip qui m’a demandé le plus de recherches. Et tout le travail n’avait pas été fait pour le projet bd. J’ai effectué pas mal de recherches encore au cours de l’écriture.

L’éditeur : Combien de temps t’a-t-il fallu pour écrire ce texte ? As-tu suivi une méthode spécifique ? Avais-tu un plan précis en tête, ou suivais-tu ton imagination à mesure que l’histoire avançait ?

Laurent Queyssi : La question piège du temps pour l’écriture… J’ai mis peut-être un mois ou deux pour venir à bout d’un premier jet, mais en ne consacrant pas tout mon temps à ça (j’ignore sur quoi je bossais à côté à l’époque). Le plan était posé, c’était celui de la bd, et je ne l’ai quasi pas modifié. J’ai ajouté pas mal d’éléments, de détails, mais l’essentiel était déjà là. J’avais déjà beaucoup travaillé sur la structure pour la version bd et elle m’a servi de base.

L’éditeur : Parle-nous un peu des héros de cette histoire. Comment sont-ils nés ? Et ton regard sur eux a-t-il changé au fil de l’écriture, au-delà de ce que tu avais prévu ?

Laurent Queyssi : Mon protagoniste Scott est un amalgame de plusieurs auteurs de fantastique ou d’horreur, une vision littéraire, mais pas du tout idéalisée, de la condition d’écrivain populaire. Sa camarade Anna est forcément un cliché puisqu’elle est tirée de ses livres (et visiblement pas de ses meilleurs). Mais elle incarne une certaine liberté, une folie et une audace qui me semblent parmi les caractéristiques les plus intéressantes de cette forme de littérature. Les auteurs d’horreur de l’époque osaient tout. Le pire comme le meilleur. Anna oscille entre les deux. Mais elle manque forcément d’épaisseur. De par sa nature même, sa condition.

L’éditeur : As-tu eu des surprises lors de la rédaction de ce texte ? Des idées qui ont surgi lors de la phase d’exécution, et auxquelles tu ne t’attendais pas du tout lorsque tu en as commencé l’écriture ?

Laurent Queyssi : Non, pas pendant la rédaction proprement dite. Mais pendant la préparation du projet, oui, sans doute. Je crois que l’idée de la visite à Graceland s’est imposée comme un symbole fort pendant que je travaillais sur le trajet de Scott. Je regrette maintenant de ne pas les avoir envoyés à Fort Alamo ou O.K. Corral, mais cela aurait peut-être été redondant.

J’ai mis pas mal de mes obsessions dans ce texte (comme souvent) : Robert Howard ou Robert Johnson, par exemple. J’ai même réussi à intégrer une histoire sur Charlie Parker. Les génies américains.

L’éditeur : Quel message cherchais-tu à faire passer à travers cette histoire ? Quel est le propos sous-jacent de ton œuvre ?

Laurent Queyssi : Comme souvent chez moi, le texte parle d’histoires, de récits et de leur influence sur le monde. Comment la littérature ou les arts modifient notre existence à toutes les échelles. Comment les arts « mineurs » que je cite ont-ils acquis une si grande résonance et fini par façonner, d’une certaine manière, un pays. C’est une de mes thématiques principales avec également l’idée d’aller voir derrière les coulisses. Comment se fabriquent les romans d’horreur à deux sous ? Qui se cache derrière ?

Je ne sais pas s’il y a un « message » dans ce texte ou dans mon œuvre en général, mais ce sont les thématiques qui m’intéressent et que je travaille, en tout cas.

L’éditeur : Pourrais-tu partager quelques références (livres, documents, personnalités, musiques, films, sites ou pages internet, etc.) en lien direct avec ce texte, afin que nos Voyageurs Littéraires puissent pousser plus avant leurs recherches et découvrir certaines facettes cachées de ton histoire ?

Laurent Queyssi : Je pense que le lecteur curieux d’en apprendre plus sur la littérature d’horreur de cette période serait inspiré d’aller jeter un œil à Paperbacks from hell. Pour le reste, je conseille de prendre des notes à la lecture et d’aller faire des recherches internet sur certains des personnages cités : Robert Howard, Elvis, Robert Johnson, Charlie Parker. Même s’ils connaissent déjà ces artistes de nom, ils risquent d’être surpris et de découvrir bien des choses. Les dernières biographies de Robert Johnson sont très chouettes, la monumentale bio d’Elvis par Peter Guralnik change forcément le regard sur l’artiste devenu un affreux cliché, etc. Je cite Henry Miller ou Richard Brautigan, et les lire permet aussi de comprendre l’attrait pour la côte ouest.

Enfin, il faut surtout que le lecteur garde quelque chose en tête : tout ce qui est raconté dans Big Sur est vrai.