Création de la couverture
Une fois de plus, c'est à la lumière du roman d'Olivier que nous avons conçu la mise en scène de cette couverture. Nous voulions une ambiance sombre et combinant deux aspects du squelette humain : les os réels et les os radiographiés. Ainsi, associer l'ancien et le moderne, l'histoire et la science, à l'image de ce nouveau Long-Courrier aux tonalités horrifiques.
Cela dit, d'une nature bien trop probe pour oser demander à nos amis parisiens de piller les catacombes de la capitale, nous avons préféré nous rabattre sur un crâne artificiel pour créer cette couverture. Afin de gagner en réalisme, nous avons opté pour un crâne anatomiquement correct, le modèle choisi étant habituellement destiné aux étudiants en médecine. Seule difficulté : ce crâne est vendu en deux morceaux, et la calotte crânienne n'épouse pas tout à fait les volumes du reste de la boîte.
Il nous faudra donc coller, combler, poncer, reponcer, reponcer encore, et encore, avec un grain de plus en plus fin, puis finalement laquer et talquer au blanc de meudon pour obtenir un effet os satisfaisant.
Ensuite, il faut à la fois peindre et user cet os artificiel pour lui donner un aspect vieilli. D'un côté, nous utilisons des bombes de peinture acrylique, et de l'autre, tout un tas de colorants naturels, tels que le thé noir, le curcuma, le café, le jus de tomate, etc.
Après quoi, nous enfumons notre crâne pendant plusieurs heures. Nous allons même pousser le détail jusqu'à retoucher les dents une par une, à leur créer un émail que nous nous empressons d'user, à en briser quelques morceaux ou à en noircir la base.
Une fois le résultat suffisamment convaincant à nos yeux, nous entamons la deuxième phase des préparatifs : l'accumulation de clichés radio. De vrai clichés, imprimés en noir sur des supports plastifiés transparents, dans le cadre de vrais examens de santé. Car ces clichés doivent laisser passer la lumière afin de réussir la composition telle que nous l'imaginons. Pour cette phase, nous sollicitons nos entourages, y compris les auteurs de la maison. Par chance, nous arrivons à obtenir assez de clichés dans les délais impartis.
L'heure est donc venue désormais de réunir tout ce matériel pour créer la mise en scène et préparer la séance photo.
Entretien avec Olivier Bérenval, auteur du roman.
L’éditeur : Quelle est la genèse de ce texte ? Quel en a été le point de départ ? Quelle a été la première idée à te venir ?
L’auteur : Ce texte me tient à cœur depuis longtemps et je suis très heureux que les Voyageurs Littéraires de 1115 le découvrent enfin ! Je voulais écrire un texte différent sur la notion d’humanité, ce que cela signifierait d’être un homme, une femme, d’une espèce différente de la nôtre. J’ai déjà écrit sur ce thème en me projetant dans le futur, car c’est un sujet récurrent de la science-fiction, mais je trouvais encore plus intéressant de me référer à notre lointain passé. Après tout, environ cinquante milliers d’années avant notre ère, rien moins que quatre espèces humaines distinctes coexistaient (Sapiens, Néandertal, Denisova, Florès), parfois sur le même continent, et l’idée me fascinait – et me fascine toujours – absolument !
L’éditeur : Quelles ont été tes principales sources d’inspiration ? Dans quel état d’esprit as-tu imaginé cette histoire ? Dans quel contexte ?
L’auteur : Le point de départ était clair dans mon esprit, mais il me fallait trouver un traitement littéraire adapté, en particulier pour relier les épisodes préhistoriques avec notre époque actuelle. Pour ce faire, il fallait que je trouve une source d’inspiration à la fois originale, déstabilisante pour lecteur, et en même temps suffisamment familière pour moi afin de la restituer de façon plausible et réaliste. En réfléchissant, j’ai réalisé que mes séjours en Afrique du Sud et en Namibie me fourniraient la matière idéale pour cet arrière-plan contemporain, qui s’intégrerait au mieux avec les flashbacks d’un passé très lointain. La thématique étant très originale, il fallait que je l’insère dans une narration accessible au lecteur, et le format de l’enquête policière relativement « classique » s’y prêtait très bien.
L’éditeur : En quoi a consisté ton travail de recherche ou de documentation ? Sur quel(s) sujet(s) / thème(s) as-tu travaillé en particulier ?
L’auteur : Beaucoup de travail de recherche en effet pour démêler l’écheveau des espèces humaines qui se sont succédé ou ont coexisté ! Par chance, les paléoanthropologues sont à la fois précis et pédagogues (Y. Coppens, L. Slimak, et tous ceux ceux que je cite en fin de roman.) Et en plus, ils arrivent à nous faire « vivre » le quotidien de ces espèces humaines disparues de façon remarquable ! Cette documentation n’a donc pas simplement permis d’éviter des erreurs scientifiques mais a aussi favorisé l’écriture de scènes, voire de chapitres entiers, grâce à leur pouvoir d’évocation. Concernant l’Afrique du Sud, je m’y suis rendu à plusieurs reprises, et il était beaucoup plus facile de projeter des axes de narration à partir de mon propre vécu dans ce pays (et aussi en Namibie).
L’éditeur : Combien de temps t’a-t-il fallu pour écrire ce texte ? As-tu suivi une méthode spécifique ? Avais-tu un plan précis en tête, ou suivais-tu ton imagination à mesure que l’histoire avançait ?
L’auteur : La première mouture du roman a été achevée assez rapidement, en moins d’un an, mais il y a eu beaucoup de travail de réécriture (comme toujours!) par la suite. La trame suit l’enquête policière sur des crimes mystérieux commis en Afrique du Sud de nos jours, avec un fil secondaire dans les territoires aborigènes en Australie. Mais il fallait relier cette trame « contemporaine » avec les épisodes préhistoriques, en distillant les informations au bon moment, pour préserver le suspense. Bien entendu, les tonalités entre les deux époques séparées par des dizaines de milliers d’années devaient être radicalement différentes, tout en demeurant cohérentes en terme de développements. Donc un plan assez précis pour le déroulement de l’enquête, tout en me permettant des libertés avec les chapitres se déroulant dans le lointain passé, que j’ai pris beaucoup de plaisir à écrire !
L’éditeur : Parle-nous un peu des héros de cette histoire. Comment sont-ils nés ? Et ton regard sur eux a-t-il changé au fil de l’écriture, au-delà de ce que tu avais prévu ?
L’auteur : Paradoxalement, c’est un héros plus secondaire, le personnage du policier Leon Visagie qui m’est apparu en premier. Lors d’un de mes séjours en Namibie (nota : une province d’Afrique du Sud avant de devenir un pays indépendant en 1990), j’avais dû me rendre dans commissariat de Windhoek pour faire une déclaration de perte de permis de conduire. L’officier qui m’avait reçu était un vieux briscard, un peu bourru, mais qui s’était déridé car j’étais français ! Physiquement, je n’ai rien changé dans la description du personnage, mais j’ai imaginé pour Visagie une vie intérieure plus complexe que son apparence ne le laisse penser, traversée par les contradictions, la solitude.
Le personnage d’Oro est celui qui m’est venu en deuxième, pour compléter le tandem flic / « criminel ». Plusieurs sources d’inspiration ont donné naissance à ce protagoniste. La plus ancienne remonte à mes lectures d’enfance, et notamment la série des X-Men ! Dans l’une de leurs aventures, ils sont confrontés à un mutant dénommé Proteus, qui est en fait Kevin, le fils de Moira Mc Taggert, une chercheuse en génétique. Proteus est un vampire psychique, capable de posséder des enveloppes corporelles d’êtres humains en y projetant son esprit. Il est détenu sur l’île de Muir, en Écosse, dans un complexe ultra sécurisé dont il parviendra à s’échapper en « sautant » de corps en corps. Ce concept de vampire psychique existe aussi dans le roman d’Octavia Butler « Wild Seed », qui est le premier ouvrage de la série « The Patternist ». J’associe d’ailleurs explicitement cette référence car le héros de Butler se nomme « Doro ». Le parallèle s’arrête ici, car le héros de Butler est motivé par des raisons complexes, il sélectionne des « reproducteurs » humains en vue de créer une lignée humaine parfaite, dans une vision eugéniste, tandis que mon héros ne change d’enveloppe corporelle que pour survivre. Cette idée de vampire psychique est aussi exploitée par Dan Simmons dans sa série bien connue de romans « L’échiquier du mal ».
Et enfin, en contrepoint de ce vampire psychique, me sont apparus les deux vampires « ordinaires » que sont Mndeni et Haïa, qui doivent leur immortalité à l’absorption des fluides vitaux d’autres humains. Encore une réécriture des mythes vampiriques donc !
L’éditeur : As-tu eu des surprises lors de la rédaction de ce texte ? Des idées qui ont surgi lors de la phase d’exécution, et auxquelles tu ne t’attendais pas du tout lorsque tu en as commencé l’écriture ?
L’auteur : Les chapitres dans les périodes préhistoriques étaient initialement prévues pour étayer l’enquête qui se déroule à notre époque. Au fur et à mesure, j’ai pris beaucoup de plaisir à les écrire, à les développer, à les faire « sortir du cadre » pour que le lecteur soit immergé dans une autre réalité, une temporalité totalement étrangère. Ces scènes offrent beaucoup de liberté narrative, stylistique et permettent d’alterner avec l’enquête policière.
L’éditeur : Quel message cherchais-tu à faire passer à travers cette histoire ? Quel est le propos sous-jacent de ton œuvre ?
L’auteur : On dit souvent qu’un romancier écrit toujours le même livre, et ce doit être mon cas ! Que ce soit dans un futur lointain, ou dans un passé tout aussi oublié, j’essaie de créer des personnages qui se situent aux limites de l’humanité, et d’essayer d’imaginer leurs pensées, leurs passions, leurs doutes. Le fait que l’action se déroule en Afrique du Sud n’est pas neutre non plus, mais le message est encore plus radical que la simple dénonciation des préjugés racistes : ce qui fait un homme n’est ni lié à sa couleur de peau, ni même à la génétique qui le constitue, sa condition humaine lui est acquise de plein droit. Une fois de plus, l’existence prouvée de plusieurs espèces humaines à une époque nous démontre l’absurdité des croyances en la supériorité d’un groupe humain sur tel autre. Au final, nos civilisations, nos modes de vie, nos croyances et dogmes se révèlent éphémères à l’échelle de temps incomparablement plus longs, il est donc vain de prétendre à une hiérarchie entre eux.
L’éditeur : Pourrais-tu partager quelques références (livres, documents, personnalités, musiques, films, sites ou pages internet, etc.) en lien direct avec ce texte, afin que nos Voyageurs Littéraires puissent pousser plus avant leurs recherches et découvrir certaines facettes cachées de ton histoire ?
L’auteur :Bien sûr ! Dans les remerciements, j’ai indiqué les principaux scientifiques dont les ouvrages m’ont servi de référence, avec une mention particulière pour ceux de Ludovic Slimak et leur touche philosophique. Pour les ouvrages plus littéraires, la saga de l’Américaine, Jean Auel, Les Enfants de la Terre, est une porte d’entrée classique. C’est une vision réactualisée des « Cro Magnons » qu’avait décrit le Français JH Rosny Aîné avec sa Guerre du Feu. Plutôt que ces cycles un peu longs et fastidieux, ma préférence va plutôt vers le roman Les Héritiers de William Golding (Prix Nobel de littérature et auteur de Sa Majesté de Mouches) qui imagine une rencontre / confrontation entre Néandertaliens et Sapiens, dans une langue imaginative et originale. Les auteurs de science-fiction se sont (relativement) peu intéressés au sujet, puisque logiquement tournés vers le futur. Outre le roman d’Octavia Butler, j’avais repéré (mais non lu) le roman de Michael Bishop, No Enemy but Time (non traduit en français, prix Nebula 1982), où un homme est capable de projeter son esprit dans le passé de ses ancêtres à l’époque préhistorique.
Sur l’Afrique du Sud, il ne faut surtout ne pas hésiter à lire les grands auteurs comme JM Coetzee (en particulier L’Âge de Fer ou Disgrâce), Nadine Gordimer (Ceux de July) ou Andre Brink (Une saison blanche et sèche).
En films, citons dans le désordre : Tsotsi (2005, un jeune voyou sud-africain vole une voiture et kidnappe un nourrisson par erreur) ; The Man from Earth (2007, lors d’une soirée d’adieu, un homme révèle à ses amis être un immortel qui a traversé les siècles) ; Altered States (1980, des substances psychédéliques permettent à un scientifique de « régresser » par l’esprit jusqu’à l’époque préhistorique et même au-delà !!) Et en musique, le hip-hop énervé de Die Antwoord sera une excellente bande-son entre deux chapitres !